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La ville comme équipement minier

 

 

D'abord et avant tout, la ville est à l'initiative de la compagnie minière. Cela signifie qu'«elle est planifiée, construite et administrée par une entreprise privée» (Nadeau, 1999), en l'occurrence la minière Québec Cartier (Arcelor Mittal aujourd'hui). La ville est donc perçue comme un «équipement» aussi nécessaire aux opérations minières que les camions, les routes et les voies ferrées.

 

Même si Fermont est devenue une corporation municipale indépendante de la compagnie minière en 1974, cette vision opérationnelle de la ville persiste de nos jours et se traduit dans les projets réalisés ou en cours de planification. Les effets notables dans l'évolution urbaine et architecturale de la ville seront discutés davantage dans la partie portant sur la structure et la forme

La ville minière comme milieu de vie

 
Soutenir la vie familiale et communautaire

 

Même si le but premier de la ville était opérationnel,  la ville de Fermont est ancrée dans le territoire et présente un aspect «permanent» de par ses aménagements. Le mur, le réseau viaire ainsi que les développements résidentiels ont fait l'objet de nombreux investissements puisque dans ce temps, il était plus rentable pour les compagnies de sédentariser sa main-d'oeuvre à proximité des lieux d'extraction. Une attention particulière a donc été portée par les concepteurs afin d'en faire un milieu de vie convivial malgré les dures conditions climatiques. L'objectif était alors de concevoir un établissement humain pouvant soutenir et contribuer à la vie familiale et communautaire.

 

 

Or, la tendance est maintenant à l'inverse: il est devenu plus rentable pour les compagnies de fonctionner selon le système de rotation de main d'oeuvre Fly-In-Fly-Out.

 

 

Une polarisation s'est donc créée entre les deux types de résidents. D'un côté se trouvent les résidents permanents qui ont développé la culture du lieu, qui paient leur taxe, qui se sont approprié la ville; de l'autre côté, les travailleurs qui y sont étrangers, qui ne paient pas de taxes et qui dépensent peu à Fermont, leur court séjour étant presque exclusivement dédié au travail intensif. De nombreux articles ont été rédigés sur le sujet pour dénoncer la situation: 

Les intentions

Cohabiter avec le climat

 

La question pour Fermont est donc de savoir si, présentement et au regard des intentions de construction passé, la ville vise la résistance ou l‘adaptation au climat. D’emblée, à ce sujet, Legault (2013, p.9) affirme que « créer un environnement urbain où la population est constamment protégée des rigueurs de l’hiver ne la rendra que plus étrangère à l’environnement extérieur Â».

 

 

L'érection d'un mur pour protéger la ville des vents dominants est une stratégie fort intéressante au niveau microclimatique, mais le fait que ce dernier constitue une ville en soi (puisqu'il intègre toutes les institutions et équipements publics) témoigne d'un désir de résistance au climat. Malgré qu’il a été impossible de mettre la main sur une étude post-occupationnelle de Fermont, les propos qui nous ont été rapportés tendent à appuyer nos croyances à l'effet que le mur était replié sur lui-même. Les gens n’étaient pas incités à fréquenter l’extérieur et à s’exposer, voire profiter, des conditions hivernales ou nordiques. Le mur était réputé, dans les croyances populaires, pour être habité par des gens qui n’en sortaient pas.

Le précédent de Byker Wall, en Angleterre, a également connu des critiques quant aux dynamiques sociales qui se sont créées au sein du projet de logements sociaux. Notamment, d'importants changements socio-économiques, à l'échelle nationale, ont affecté la classe ouvrière ainsi que les conditions de logements sociaux: «The increasing residualisation of social housing as a minimally-maintained safety net for those who could not afford anything else meant that estates such as Byker became ghettos for many of those failed by society» (Municipal Dreams, 2013).

 

La vocation du projet de Byker Wall a donc été remise en question puisque le manque de mixité sociale, combiné à un usage quasi exclusif d'habitation à prix modique, a mené à une ghettoïsation de l'ensemble du quartier. De nos jours, cette image tend à s'améliorer en raison d'efforts et d'investissements de la part des instances décisionnelles. 

 

Dans le cas du mur de Fermont, on constate que la mixité des occupants est limitée également, puisque la gestion des locataires et des propriétaires est assurée par la compagnie Arcelor Mittal. Ainsi, la plupart du bâtiment est habité par les travailleurs célibataires, lesquels sont pour la plupart de passage (« fly-in/fly-out »). Il est aussi à noter qu'à ses débuts, la ville entière était la propriété de la compagnie minière: ce n'est que vers les années 80 que cette dernière a commencé à vendre ses maisons extra-murales à des particuliers, soit majoritairement des travailleurs-résidents. Ainsi, l'on peut constater que les changements de paradigmes de travail/ de gestion de main-d'oeuvre, combinés à une forte emprise du secteur privé, ont contribué à une certaine ségrégation physique entre les résidents permanents et les travailleurs de passage. Ceci a comme conséquence d'alimenter davantage les tensions sociales qui appauvrissent la vie communautaire.

 

Les exemples du Byker Wall et de la ville de Fermont ont en commun le fait d'avoir été conçus pour des «clientèles» précises, en l'occurrence, une population moins nantie d'un quartier ouvrier et une population de travailleurs miniers. L'acceptation sociale des enjeux qui émergent de chacun des projets démontre les certains dangers d'une planification issue d'intentions envers des caractéristiques sociales statiques, vu l'imprévisibilité des dynamiques socio-économiques.

Le fly-in/fly-out, «c'est une bonne affaire... pour la compagnie», estime Denis Émond, qui habite dans le «mur» et aura passé presque toute sa vie de travailleur à Fermont. «Localement, il n'y a pas de retombées. Ils se mêlent pas [à la population]. Et au bureau de poste, c'est nous, les inconnus. C'est pas normal.» Extrait du journal La Presse, 18 septembre 2011.

Sachant que la ville, dans ses fondements d'établissement monoindustriel, est par définition «temporaire» puisque vulnérable aux fluctuations du marché minier, est-ce que les causes de ces tensions sociales ne proviennent pas plutôt, en premier lieu, de la sédentarisation de la population de travailleur dans la ville minière? La solution serait-elle de diversifier l'économie de la ville, mais également de mieux la connecter au reste de la province? 

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L'absence d'espaces publics extérieurs prouve finalement que la priorité, en terme d'espace de socialisation, a été portée sur le mur. Le foisonnement et l'effervescence sociale se déroulent principalement dans le mur, tandis que les développements résidentiels, à l'instar de banlieue, se trouvent ralliés à la fonction de dortoir.  Cependant, le milieu nordique profite d'une robustesse, d'une flexibilité d'usages naturelle avec la tombée de neige, puisque cette dernière efface les tracés et permet une appropriation plus spontanée des lieux, dont les rues.

La tendance à la résistance au climat semble s'inverser puisque depuis 2011 (Simard et Brisson), diverses façons de valoriser l’hiver sont mises en place. On retrouve un carnaval d’hiver nommé Taïga, des activités extérieures sont planifiées et programmées, tels des équipes de hockey et des concours de sculptures sur neige ont lieu. Le directeur de l’école primaire (qui fait partie intégrante du mur) a de plus récemment décrété que les élèves sont désormais obligés d’entrer par les portes extérieures pour avoir accès à l’école et que la porte adjacente au mur est maintenant condamnée. La municipalité fait aussi la promotion des bénéfices de faire de l’activité extérieure. C’est dans cette optique que nous sommes portés à croire qu’une volonté de mettre en valeur l’hiver et d’en jouir émerge au sein de la ville. Une forme d’adaptation aux conditions hivernales et climatiques est perceptible par cette volonté ponctuelle des acteurs de se tourner vers l’extérieur.    

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